Londres – Abbey Road – Avec Ravichandra Kulur

Mercredi 30 Avril

Eh bien voilà me voici dans le train. Je suis dans l’Eurostar et repars en Angleterre, cette fois-ci pour retrouver l’ami Ravichandra Kulur. Petite blague de l’histoire, il m’invite pour un enregistrement qui devrait se passer à l’Abbey Road Studio, lieu mythique pour la musique…

Magnétos

Je pars le cœur triste de du départ d’un ami qui vient de me laisser un très beau mail d’adieux, touché lui aussi par le cancer…

J’ai dormi à Paris cette nuit pour être le plus tôt possible à la Gare du Nord et prendre l’Eurostar. J’ai l’estomac un peu serré de voir les amis partir les uns après les autres en ce moment et, en me disant en même temps, que j’avais une chance magnifique d’être encore vivant dans ce monde qui peut être si beau, à rencontrer des gens incroyables comme Ravi, Camilo, Udupa que je vais retrouver bientôt.

La traversée de la Manche se passe bien. Avant le grand tunnel, je revois ces paysages de Calais que j’ai vu il n’y a pas si longtemps du côté des terriens et, je vois ses barbelés, je vois ses poteaux et je vois ses clôtures. Rappelant toujours que le voyage est possible pour les favorisés, les autres devront être prêt à mourir s’ils veulent arriver en Angleterre.

Je ne sais pas exactement ce que je vais faire, Ravi m’a expliqué qu’il a composé des morceaux connectés à des histoires ou des légendes. Mon intervention est sur un morceau irlandais lié au conte de Tir Na Nog. J’ai eu un petit bout de thème, je pense que il y aura sûrement autre chose à travailler. Les Indiens vont très très vite. J’espère être à la hauteur et revenir de Londres heureux de cette expérience.

Ça y est je suis arrivé à Londres, un taxi m’attendait pour m’envoyer au Studio. C’est la première fois que je vois Londres, sous le soleil avec des gens en T-shirt et en jupe… ça s’est amusant. La ville prend tout d’un coup des habits de légèreté et de sourires.

J’arrive au Studio et les musiciens sont déjà là. Certains que je connais déjà, comme Camilo Menjura Ravichandra Kulur, Udupa Ghiridar et d’autres que je vais rencontrer. Ils sont là depuis quelques jours et je suis celui qui arrive en dernier à cause d’un emploi du temps très, trop rempli.

régie

Aujourd’hui on travaille un seul morceau et je vais voir à l’œuvre un quatuor à cordes, un pianiste, un contrebassiste, une chanteuse indienne, plusieurs percussionnistes. Le niveau musical est impressionnant… Je dois m’accrocher pour être à la hauteur de ces musiciens expérimentés qui sont comme des poissons dans l’eau dans un studio d’enregistrement.

Quatuor

La journée passera vite avec des temps très long d’attente entre les prises, nous sommes au Angel Studio dans une annexe de l’Abbey Road pour quelques jours. Déjà la pièce centrale est magnifique, il y a des grandes cabines isolée partout et la régie est impressionnante…

orgue
cabine percus

C’est la première fois que je travaille dans un studio comme celui-là, je suis très impressionné. La journée sera trop courte pour enregistrer tout le morceau nous arrêterons vers 20 heures car tout le monde est fatigué. Nous allons nous poser à l’hôtel et allons manger avec Ravi, Udupa, Vishak l’arrangeur de l’album, la chanteuse indienne Chandana Bala Kalyan, le bassiste italien basé à Bruxelles Fédérico Stocchi, le pianiste belge Bram De Looze. Nous trouverons un petit restaurant, indien charmant à la très bonne cuisine… Toujours faire confiance aux amis…

Ravi-Vishak

Nous passerons une douce soirée et nous coucherons tôt car demain la matinée sera bien occupée. Je suis si heureux de retrouver Ravi, magnifique de gentillesse. C’est lui qui supervise toute la musique de cet enregistrement. Il est impressionnant de compétences outre le fait qu’il est est un flûtiste époustouflant ! Il est gentil, toujours à l’écoute… Cela fait quelques années que nous nous connaissons maintenant. Udupa se rappelle de très beaux concerts en Inde et tous ces souvenirs tissés depuis 2013 commencent à faire une belle histoire entre Ravi et moi.

Jeudi 1 Mai

Ce matin, j’ai finalement réussi à enregistrer ce que Ravi souhaitait que j’enregistre, et cela était beaucoup plus simple et plus rapide qu’hier… Ouf ! Arrive l’équipe qui doit enregistrer le morceau bulgare, cette équipe est composé de six chanteuses et Camilo Menjura à la guitare et la direction.

Camilo et Choeur

Sont également présent un harpiste sud-américain et les deux amis belges qui vont officier au piano et à la contrebasse… Le temps d’installation est important malgré le fait qu’il y ait quatre personnes à s’occuper du câblage et de la pose de micro. Finalement vers 11h30 les prises commencent et j’entends le travail de Camilo d’arrangement, de polyphonie, de construction de morceaux. Il y a une super ambiance. Ici il y a un sérieux, une rigueur, un professionnalisme et en même temps, cela se fait avec le flegme britannique et l’humour sud-américain. Les Indiens ne sont pas en reste bien sûr. Ravi a l’air très heureux. Il est principalement content de réunir autour de lui tous ses amis qui sont là pour des raisons de musiques et aussi aussi pour des qualités humaines. À un moment, nous nous retrouvons tous les trois Camilo, Ravi et moi et tout de suite Ravi demande au photographe officiel de la production de nous prendre en photo. Il est vraiment super heureux que nous soyons présents et que tous ses amis puissent être autour de lui, sur ce projet extrêmement important pour lui. Cadeau, gratitude, merci beaucoup Ravi.

panneaux accoustiques

Je vais prendre mon déjeuner avec les deux amis belges et la productrice et nous aurons de belles discussions autour des arbres car son mari a planté également pas mal de choses dans leur maison à Londres et aussi à Bangalore. Le morceau est fini pour aujourd’hui. On va s’installer pour un autre morceau, et c’est à ce moment-là que je décide de quitter le studio pour aller retrouver mon logeur.

Joanna, en charge de la production, va me commander un taxi et je vais vivre une expérience magnifique avec un chauffeur kurde avec lequel on va partager beaucoup de musique, parler du Kurdistan Irakien où je suis allé en 2007, et quand je vais arriver à destination, il me dira que je ne lui dois rien que c’est Le Kurdistan qui m’invite.

Cela vaut vraiment le coup de vivre ce genre d’expérience, encore un beau cadeau… Me voilà encore plein de gratitude.

J’arrive à destination. Je retrouve Leandro, un ami de Camilo Menjura, j’ai pris un peu de temps pour aller flâner dans le quartier au travail de Leandro qui va me loger ce soir. Leandro est un musicien, batteur,-percusionniste et il travaille à temps partiel dans une librairie de musique. Il me fait visiter le lieu, c’est passionnant, il s’en passe des choses dans les caves du centre-ville!

Bookshop

Des années et des années de passion pour la musique, de collectage de partitions, de recueils, de méthodes pour aujourd’hui être un lieu ressources au niveau national et aussi international car les gens viennent de très loin pour récupérer des partitions.

Books

Tout est très bien rangé bien sûr et Léandro prend du temps, il m’explique son boulot, sa vie. Il est à moitié chilien à moitié suédois et travaille à Londres. Il m’encourage à profiter du quartier pour faire une pause tourisme, je vais donc aller marcher 2 heures dans le quartier.

Tourisme
Tourisme2
Tourisme3

Tout va bien dans ce monde, les gens flânent, il y a des boutiques partout, je suis à Trafalgar Square. Du monde, du monde,… un petit collectif tient un stand pour alerter sur la situation en Palestine. ça fait du bien de voir qu’ici on n’oublie pas le peuple palestinien et la situation terrible à Gaza et en Cisjordanie!

Je reviens à la boutique et retrouve Léandro qui me dit qu’il rentrera tard ce soir, il me conseille de prendre le bus pour aller à son domicile. Me voilà donc dans le bus et je traverse Londres du Sud au Nord.

Rue Leandro

Après les quartiers agités, commerciaux, rutilant, de consommation et de clinquant, je remonte tranquillement dans les quartiers populaires, les commerces se font plus modestes, la population plus hétérogène. J’observe ces différentes vies que l’on trouve à Londres.

Rue Leandro2

Une triste nouvelle vient cependant m’affecter. Je vais recevoir plusieurs messages de Bretagne, m’annonçant le décès d’un ami chez qui j’avais donné un concert pas plus tard que dimanche dernier. Il était à ce moment-là plein de joie, plein de vie, heureux de partager, de connecter des gens entre eux , d’ouvrir sa maison à des gens qu’il ne connaît pas simplement pour le plaisir de la rencontre… Cela avait été un moment, délicieux, profond et doux, en même temps…

Aujourd’hui, j’apprends qu’il est parti, une mort subite, inattendue, très violent pour les proches, les amis… Je vais rester choqué pendant quelques temps.

Je reste prisonnier des embouteillages et d’un trajet en bus qui va s’avérer être très long… Je descends d’un bus pour en prendre un autre, je marche dans les embouteillages et je respire tous ces gaz d’échappement, toutes ces voitures bloquées tout le long du trajet, la joie de la vie en ville…..je mesure le bonheur d’habiter où j’habite…

Soirée tranquille avec le colocataire de Léandro.

Bonne nuit

Vendredi 2 mai

Arrivée au studio en bus quelle tranquillité ce Londres des quartiers excentrés

Il fait encore beau et la ville semble légère, j’arrive au studio, l’ambiance est bonne. La journée a été productive hier

Le studio est nickel le ménage est impressionnant 

L’équipe arrive au fur et à mesure 

Ce sera une journée encore folle, j’ai passé beaucoup de temps avant de jouer à écouter tous ces merveilleux musiciens et les chanteuses faire leur prises tour à tour. J’étais là à 9h30, je vais enregistrer vers 16h30. Beaucoup de fatigue à attendre et à écouter dans un exercice avec lequel je peine souvent. Ravi et magnifique d’écoute de patience, d’adaptation, de souplesse, et quel virtuose ! ! !

Après ma séance d’enregistrement, je vais faire une pause pour un coup de fil en Bretagne et de retour, Ravi est en pleine prise et tout simplement ébouriffant Tout est juste parfait, merveilleux, ce n’est plus une flûte, c’est un oiseau, une maîtrise rythmique extraordinaire. tout est simple, tout est facile, alors qu’il joue des choses que je ne jouerais jamais… Je suis émerveillé ! Et je reste toujours très touché par les petites attentions qu’il me porte, je vais devoir faire une journée de plus, on me garde jusqu’à lundi pour refaire des prises du morceau Gambien, mais cette fois-ci à l’Abbey Road.

Je retourne à mon logement pour une soirée tranquille, je suis un peu fatigué, et je pense qu’une bonne nuit me fera le plus grand bien.

Samedi 3 mai

Aujourd’hui je reste dans mon logement, je vais travailler les morceaux tranquillement et la flûte pendant une bonne partie de la journée. C’est le temps de faire une pause, une petite respiration avant de repartir vers le tunnel suivant des sessions de studio… La musique est là bien sûr mais aussi les amis en Bretagne auxquels je pense et qui ont fait le grand passage, j’ai un sentiment de tristesse et de mélancolie en imaginant ne plus revoir des gens que l’on a côtoyé plein de vie, souriants, généreux… Et auprès desquels, on aurait encore eu tant tes temps à apprendre et à partager. J’aurais plusieurs moments de tristesse dans ma journée. Heureusement la musique est là et je retourne à mes morceaux qui demandent toute ma concentration, tout mon amour, et je vais jouer pour les amis disparus.

Vers 17 heures, je décide de quitter le lieu pour retrouver les amis qui cette fois sont installés à l’Abbey Road. Aujourd’hui je teste le métro londonien sur deux lignes et pour une heure de métro. Je vais errer un moment dans les longs couloirs du métro londonien à la quête de ma correspondance que je vais trouver et j’arrive enfin dans le quartier du studio. Je continue au parcours à pied et j’arrive enfin face au fameux passage piéton où a été fait la photo historique de la pochette d’album des Beatles. Il y a de nombreux touristes qui font exactement comme les Beatles, ils traversent la route d’un côté ou d’un autre, ils se font prendre en photo par des amis, j’ai l’impression que ça fait 60 ans qu’il y a du monde à passer ici chaque jour pour se faire photographier sur ce passage piéton.

passage pieton

Le Studio est tout près et je vais retrouver Ravi et Udupa qui terminent des prises. Cette fois-ci, c’est du konnakol, c’est-à-dire des rythmes chantés en onomatopées indiennes à 300 km heures, c’est impressionnant, ils sont vraiment vraiment vraiment très très très forts ces musiciens indiens.

abbey road

J’ai le droit de très très beaux sourires et tout le monde est content de me voir arriver, c’est toujours réconfortant. Nous allons aller à l’hôtel et, ce soir, je dînerais tranquillement avec Bram et Federico, le pianiste et le contrebassiste de l’enregistrement qui arrivent de Bruxelles. Une soirée très sympa à échanger autour de Musiques, de valeur des uns et des autres. Ils sont charmants, vraiment délicats, raffinés… Et en plus ce sont des merveilleux musiciens qui ont su parfaitement s’adapter à la commande de cet enregistrement. Encore une très belle rencontre, j’espère que nous arriverons à nous revoir entre la Belgique et la Bretagne dans les mois et les années qui viennent.

Dimanche 4 mai

Hier soir, je suis allé acheter en urgence un flacon d’huile d’amande douce pour huiler mes flûtes car je suis en permanence dans un environnement de climatisation. Il fait très sec et les flûtes en bois n’aiment vraiment pas ça. J’ai bien vu de bon changements en deux jours, donc j’ai décidé de l’huiler d’urgence hier soir. Aujourd’hui c’est le grand nettoyage, on remonte les clés et je profite de ma matinée de disponible pour m’occuper un peu de tout ça. Je retrouve les amis au studio à 12h30.

J’arrive au studio et les musiciens terminent le morceau chinois. Le son est magnifique tout le monde écoute et je me rends compte à quel point cet album va être hétérogène mais avec quand même une grande cohérence…

Régie

Tout cela est un délicieux paradoxe. Nous allons installer Bram au piano Fédérico à la contrebasse, le quatuor à cordes Udupa, Chandana au chant et Yusuf aux percussions additionnelles.

Nous allons répéter pendant 1h30 avant de faire deux prises du morceau. Nous ne ferons pas plus car nous n’avons pas assez de bande. La bande coûte très cher, à peu près 300€. Ravi a déjà refait les arrangements du morceau car chaque bande fait 15 minutes et nos morceaux sont longs.

Magnétos

Nous allons essayer de faire tout tenir en 15 minutes. Donc deux morceaux sur chaque bande.

Le morceau que je dois jouer est un tout petit peu raccourci, et la répétition se passera très bien. Petite pause et on reprend pour enregistrer. La mise en œuvre est plus lente, la dynamique du groupe voire latence du groupe fait que nous n’allons pas enregistrer tout de suite. Je suis un petit peu déconcentré , je ferai donc deux petites erreurs que je pourrais corriger par la suite. Tout ira très vite et voilà c’est dans la boîte ! Ravi est content, les autres musiciens aussi.

Ravi-Cabine

Avec Camilo Tirado, l’ingénieur du son, merveilleux de compétence et de patience. Je retrouve le quatuor à cordes et mes deux amis belges au bar pour un petit verre de l’amitié et voilà la journée est finie.

Retour à l’hôtel, petite pause et je retrouve Ravi, Udupa, Bram et Chandana la Chanteuse pour aller manger pour la dernière fois indien pas très loin de l’hôtel. On se couche tôt, je retrouve ma chambre, je suis seul et je pense encore et encore à ceux qui sont partis cette semaine… La tristesse est toujours présente forte… Notamment quand je pense à Lidwine, homme tellement magnifique, tellement irréprochable… Parti trop tôt !

Lundi 5 mai

Après un petit-déjeuner copieux, je retrouve l’équipe dans le taxi et nous partons au Studio. Il y a déjà des curieux et des touristes dans la rue qui font des photos sur le passage piéton historique. Il y a déjà du monde au studio ce matin, c’est vraiment le morceau des chanteuses, un morceau bulgare, magnifique arrangé par Camilo, le guitariste avec Diego Laverde Rojas, harpiste sud américain, Fédérico à la basse, Bram au piano et six chanteuses.

Choeur

Le morceau est complexe et après un bon temps de répétition, les musiciens feront trois prises et ils garderont la troisième qui sera meilleure que les autres. Ainsi on efface les deux autres et on garde de la place sur les bandes qui coûtent très cher.

Arrive le moment du morceau Gambien sur lequel je dois jouer . Ça va aller très vite car le morceau est globalement assez simple. Binta, la chanteuse est impressionnante. Elle a un coffre du tonnerre et le feu de l’Afrique brûle en elle. C’est elle qui tient vraiment le morceau. Même si les arrangements de voix sont superbes et les autres chanteuses magnifiques. Là encore nous ferons deux prises et garderons la première… Toujours la même recette, meilleure spontanéité, plus d’inspiration…

ecoute

Tous ensemble, nous nous mettons en place pour une belle séquence de palmas en overdubs. Et place au morceau suivant dédié aux Orishas. Je veux écouter un petit peu de répétition et il est l’heure de partir… Je salue tout le monde très chaleureusement, les deux amis belges avec qui j’ai passé des journées délicieuses et des soirées extrêmement sympathiques et de belles étreintes avec Ravi et Camilo et nous promettons de nous retrouver bien vite… Le taxi m’attend, je repasse pour la dernière fois devant le passage piéton où sont encore les touristes qui font des photos…

J’ai un petit peu le cœur serré, il y avait de la belle humanité dans ces jours au studio. Tant de partage, tant de générosité, tant d’écoute, de rire, de sourire, de fragilité aussi…

Voilà, la vie nous fait parfois de sacrés blagues… Je goûte d’autant plus l’instant je suis en train de vivre que j’ai deux amis qui ne sont plus de ce monde depuis cette semaine… Alors tant que l’on vit, soyons vivant… Tout cela prendra fin forcément trop tôt.

Merci Ravi pour avoir eu cette idée folle et merveilleuse de nous réunir. Merci Ravi d’être un musicien, exceptionnel et si humble. Merci Ravi pour cette écoute, cette exigence, cette bienveillance… Après des semaines comme cela on se dit vraiment que parfois la vie peut être existence.

Je serai bientôt de retour à Paris, puis demain dans la Bretagne. La vie continue, en attendant de retrouver Ravi, je l’espère Camilo également et j’espère quelques-uns des protagonistes de ce moment merveilleux.