Mars 2021- Entre Lille et Calais avec Gab Faure….et tant d’autres…

Nous voilà partis vers Lille avec l’ami Gab Faure.
L’idée germe depuis quelques années, Hervé de Willencourt m’avait appelé de Grande-Synthe il y a longtemps déjà.

Loup Blaster
Nous sommes le dimanche 7 Mars et quittons Le Vieux Marché direction Caen où nous ferons escale dans la famille de Gab.
Lundi 8/03

Matin départ vers Lille.
Nous écoutons Afel Bocoum sur la route, nous entrons progressivement dans un autre monde, cette semaine promet d’être forte en émotions et en rencontres!!!


Nous arrivons à Lille en début d’après-midi et allons rencontrer des femmes dans le centre d’accueil Rosa.

Rosa Parks
Nous sommes attendus, tout le monde est masqué, nous allons jouer 2 morceaux à nous avant d’improviser en demandant aux femmes de chanter avec nous. Il y a là congolaises, marocaines, algériennes, et bien d’autres.

Nous jouons, elles dansent, elles rient! Il y a plein de lumière dans les regards, cela fait plaisir.
A l’issue de l’intervention, nous discutons avec Audrey de l’association Attacafa qui a organisé la rencontre et les responsables du centre. C’est un centre d’accueil pour femmes victimes de violence, il s’y passe des choses très fortes entre femmes. Nous sommes très émus, nous écoutons humblement et remercions tout e monde pour cet accueil chaleureux.
La journée n’est pas finie, nous sommes attendus chez Bastien et Emilie qui nous logent ce soir. Bastien est accordéoniste, ils se sont rencontrés à plusieurs reprises avec Gab, je vais quant à moi faire sa connaissance.

https://www.youtube.com/watch?v=1ekjbidf4Cw

Un couple extraordinaire, je n’en reviens pas.
Avec une grande simplicité, Bastien nous explique qu’ils hébergent régulièrement des réfugiés qui viennent se reposer quelques jours chez eux. C’est d’une évidence pour eux d’accueillir, toujours surpris de voir que les gens n’ouvrent pas leur portes. « C’est inévitable !  » martèle t’il avec son grand sourire, il faudra accueillir, il n’y pas pas le choix.
Je vais apprendre le terme Dubliné. Le Dubliné est une personne qui se fait intercepter dans un pays d’Europe, En vertu du traité de Dublin il doit être ramené dans le pays qui l’a laissé entrer.
Les archives des documents d’entrée sur le territoire durent 2 ans, donc beaucoup d’exilés se cachent en attendant la caducité de leur enregistrement en Europe pour tenter de demander l’asile.
Nous jouerons quelques morceaux avec ce magnifique accordéoniste aux multiples facettes entourés par de bien beaux enfants. Bref, une soirée pleine de profondeur et de poésie! Nous entendrons beaucoup beaucoup d’histoires émouvantes, bouleversantes.
Mardi 9 Mars
Départ vers Calais, nous allons retrouver l’artiste Loup Blaster.
Le voyage se passe bien, nous arrivons à Calais, allons nous perdre et arriver au Port paie les camions entre les hautes clôtures, les barbelés, les policiers et les caméras,  on se croirait dans les territoires occupés…

Calais

Calais2

Nous retrouvons notre route et arrivons chez notre logeuse vers midi. Nous allons déjeuner avec Loup et son mari Omar. La rencontre se passe bien, nous prenons nos marques et tentons de comprendre la situation et les codes sémantiques.
Les exilés étant à Calais sont majoritairement des gens voulant rejoindre l’Angleterre. La mer qu’ils ont à traverser leur semble plus simple que la mer administrative qu’il y a en France pour obtenir le statut de réfugié et l’asile. Ils partent donc vers l’Angleterre, tous les soirs par groupe de 100, 300,… il y a des policiers partout qui les rattrapent, et ceux qui n’auront pas réussi recommenceront demain.
Il y a évidement des blessés, des morts et des résignés qui au bout de quelques années restent ici sans but, sans projet mais pas sans séquelles….
En début d’après-midi, nous allons au Secours Catholique rencontrer le personnel. Le mardi est dédié aux femmes et nous allons rester un petit moment à jouer. Tout le monde est très heureux de nos notes partagées. Il y a de beaux sourires.
Puis Loup nous propose d’aller près des ponts ou dorment les réfugiés pour jouer quelques notes.

Sous les Ponts de Calais
L’instant sera étrange. Nous jouons 20 mn devant personne avant qu’un exilé ne bouge suivi rapidement par une dizaine d’autres.
Nous allons jouer, Loup va chanter en arabe Soudanais et nous tenterons de l’accompagner. Les exilés sont contents que nous nous soyons déplacés pour eux et leur sourire est beau et sincère.
Nous allons à un autre pont et rencontrons 3 soudanais un peu alcoolisés qui semblent faire partie de la catégorie qui ne veut plus bouger. Nous échangerons un peu avec eux, jouerons quelques morceaux et repartirons pour quelques morceaux dans le parc Saint Pierre. Il y a du passage, on ressent que les exilés accueillent plus simplement notre démarche que les locaux. Nous verrons si ce premier sentiment se confirme.
Puis Loup nous dit que la météo pour la suite de la semaine promet d’être pluvieuse et nous propose d’aller à la plage jusqu’au couvre-feu pour une ballade au soleil et une frite.

Ferry-port-Calais
Ce que nous allons faire avec plaisir, ce sera l’occasion d’un nouvel échange riche avec Loup et Omar sur la situation qui pourrit ici. pas de volonté politique de changer les choses, pas d’informations pour expliquer pourquoi tous ces gens fuient leur pays dévastés, de la répression, de l’hypocrisie….
Retour au QG pour un peu de travail de bureau.
La soirée sera bonne, Omar nous fait écouter de la musique Soudanaise, nous apprenons beaucoup de choses sur cette culture très riche (évidemment).

https://www.youtube.com/watch?v=p6IL5O-Zpzs&t=26s

https://www.youtube.com/watch?v=9tui3Vfw8V8

Mercredi 10 Mars
Après une nuit bercée par les ronronnements de mon binôme, nous sommes partis au marché. L’idée était de jouer pour les Calaisiens, de les rencontrer et tenter de faire des ponts. Il fait très froid aujourd’hui et il y a un vent sur le marché digne de la rue Jean Jaurès de Brest. Nous allons jouer un peu sans trop savoir pourquoi, finalement quelques personnes viendront nous donner de l’argent avant qu’un des exposants ne vienne nous voir nous disant de venir au plus près des gens. Nous allons jouer et croiser de beaux regards, les gens esquissent des pas de danse, ça fait du bien.
Nous terminons près du camelot qui nous a fait jouer sur le marché, trois courses et on revient à la maison avec Manon, l’amie guitariste de Loup.  Omar nous a préparé du poisson, c’est somptueux!
Le temps de la préparation du déjeuner, Omar nous raconte son départ du Soudan et ses pérégrination vers la France…. Quel enfer, quelle volonté, nous sommes plein de respect pour ce Monsieur. La vie incarnée, subtile; complexe… bien loin des caricatures binaires des médias que je n’écoute plus depuis longtemps.

https://vimeo.com/190769521
Ensuite, nous partons en direction du Secours Catholique pour une nouvelle rencontre. C’est impressionnant, il y a plein de monde aujourd’hui, Il y a des hommes partout, certains jouent au foot, d’autres essaient des vêtements, d’autres boivent du café mais la majorité est à l’intérieur.

Secours Catholique

On y trouve des postes pour recharger les portables, des points wi-fi, il y a des cours d’anglais également. On y voit de nombreux bénévoles. Nous allons jouer 2 heures. J’observe les exilés, beaucoup de jeunes hommes au regard déterminé. Il est évident de voir qu’ils iront jusqu’au bout! Ils ont quitté la guerre, l’oppression, la misère, la famine,… ils ont tout quitté, surement pas pour rester coincé sur un sordide pont. On voit qu’ils s’entretiennent, la forme physique est entretenue.
Les épreuves à surmonter sont encore nombreuses et pénibles, pas de relâchement possible.
Ces hommes sont les plus vaillants des familles, tous les espoirs sont sur leurs épaules, avant d’arriver à Calais certains ont vu la mort de près à plusieurs reprises.
Ils iront jusqu’au bout.

Secours Catholique2
Nous sommes juste là pour apporter un peu de respiration, Manon nous rejoint à la guitare, puis Loup, un cercle se forme autour de nous et il durera une heure. Mooka nous rejoint, il prend la guitare, il nous lance des thèmes soudanais et nous jouons avec lui,
Il enchaine Bella Ciao, gros boeuf autour de ce classique. Puis arrive un homme un peu allumé avec une enceinte sur le dos, il balance du Bob Marley, qu’à cela ne tienne, nous voilà partis pour 15 mn de Bob Marley.
L’après-midi se termine,  le centre ferme à 17h, il faut partir.
Nous rencontrons Arthur qui donne des cours d’anglais bénévolement ici. Nous échangeons avec lui sur la Bretagne et son projet d’école à Calais.
Il dégage une force impressionnante ce jeune homme, comme tout le monde ici finalement.
Dans ce contexte anxiogène et morbide, je trouve dans ces moments une force de vie hallucinante!!
Le reggae man finit pas me sortir une flûte à bec cassée de son sac. Il me raconte qu’il a ramené l‘instrument d’Afrique du Sud, c’est son seul bien. La police l’a cassé en lui disant que c’était une arme!!Il me demande si on peut lui en trouver une, cela semble bien simple pour nous. Nous le ferons.
Il nous faudra un peu de temps pour digérer tout ce que nous recevons ici, entre cruauté, misère, force, amour, humour, injustice, violence, générosité, …. Calais semble vouloir ignorer, cacher ce qui se passe autour d’elle, dans son port, sous ses ponts,…. comme la France. Est-ce qu’il est écrit « Made In France » sur les bombes qui tombent sur la tête des gens que nous croisons ici?Est-ce qu’il est écrit « Made In Congo » sur le Coltan de nos téléphones portables et jeux vidéos.
La France ne pourra pas éternellement faire l’autruche.

Jeudi 11 Mars
Ce matin, nous partons assez tôt pour aller jouer pour des enfants dans un camp de Grande Synthe. Loup a organisé un rendez-vous avec une association qui s’occupe d’enfants là-bas. Nous nous faisons une joie d’aller rencontrer les enfants.
Nous quittons Calais, longeons le port de Calais avec ses hauts murs, ses barbelés, ses caméras,… quelle horreur…. on se croirait arrivé à Jérusalem…

Calais-Port

Plus le front est bas, plus le mur est haut…
Loup nous explique qu’elle a découvert les murs et barbelés à son retour après quelques années en Angleterre, elle en a pleuré … Nous allons continuer en échangeant, toujours impressionné par la force de Loup, nous arrivons à Grande Synthe, cherchons le camp que nous allons trouver derrière une zone commerciale. Auchan, Buffalo Grill, Mac Do devant, les tentes et la misère derrière. Après avoir traversé un vélodrome désaffecté rongé de plastiques et de squelettes de caddies, tristes symboles de ces vies brinquebalées par un système injuste et implacable.

Vélodrome1 Vélodrome2

Nous trouvons finalement le camp…. et là surprise, tristesse, colère, … le camp est en fin d’évacuation… Lou nous explique la méthode, des policiers arrivent, vident les tentes mettent les exilés dans des bus pour 72 heures en centre (qui ne durent jamais 72 heures, parfois, on les relâche dans la nature à peine arrivés…), puis du personnel de la Ville lacère les tentes qui restent et on met tout à la benne… il reste après ce passage, des vêtements des couvertures, de la nourriture, même des chaussures d’enfants….Tout derrière Auchan et son parking plein à craquer… cynique et arrogant….

Patates-oignonsCaddies
Une petite pause café chez un tonton de Lou qui nous indique un endroit où il y a de la restauration…
Nous y allons à l’issue d’une rencontre avec une bien belle personne, pleine de poésie.
Nous croisons sur notre chemin plusieurs fourgons de police, nous arrivons à l’endroit indiqué, pas bien loin d’où nous étions ce matin et …. rien.
Peut-être que les repas étaient destinés aux exilés du camp qui vient d’être évacué.
Le voyage de retour sera bien silencieux.
Pause déjeuner chez Loup où nous apprenons toujours des choses terribles même si l’on sait qu’elle nous ménage beaucoup.
Aujourd’hui Médiapart publie une enquête sur un Eryhtréen qui a pris un tir de LBD à 10mètres en plein visage. Le récit de l’histoire est poignant
https://www.mediapart.fr/journal/france/090321/victime-d-un-tir-de-lbd-un-erythreen-porte-plainte-et-veut-faire-reconnaitre-la-responsabilite-de-l-etat
L’après midi sera consacré au travail de musique sur 2 morceaux Soudanais recommandés par Omer.
Gab les a relevé en début d’après-midi et nous allons les travailler tranqillement. Les morceaux ne sont pas trop compliqués mais les structures sont complexes…
Travail avec Gab sur les morceaux soudanais
https://www.youtube.com/watch?v=9bD5bq1BAFA
et
https://www.youtube.com/watch?v=9bD5bq1BAFA
Nous sommes invités pour un dîner à 2 pas de chez Lou et Omar par un prêtre qui loge 17 personnes dans sa maison, une majorité de Soudanais. Nous allons dîner avec tout le monde avant de jouer quelques morceaux et inaugurer notre nouveau répertoire Soudanais. Les amis sont super émus de nous voir jouer ces morceaux (merci Omar!).
Puis, nous assisterons à une première, il y a un petit ampli sur lequel est branché un micro chant et sur lequel on peut brancher un smartphone. Nous voilà partis pour une soirée karaoké autour du repartir des crooners Soudanais. C’est super émouvant, les visages s’ouvrent, les yeux pétillent, les sourires sont là…. petite respiration dans une vie faite de combats, de souffrances, de doutes et de résistances.
Les bénévoles présents se lâcheront également autour de leur répertoire. Cela fait plaisir à voir et Gab comme moi mesurons le choc de culture, nous sommes là pour être disponibles et accueillir loin de nos esthétiques habituelles.

Vendredi 12 Mars
Dernier petit déjeuner avec Loup et Omar, nous échangeons encore sur la vie ici, ils sont d’une force toujours épatante… Nous leur proposons de venir en Bretagne et montrons les site des festivals de Douarnenez et Mellionnec, on sent qu’ils sont tentés par l’aventure.
Omar nous montre un film qu’il a réalisé sur le Tunisien qui propose des beignets sur la plage de Calais, il a subi de multiples tracasseries mais a ouvert.

https://player.vimeo.com/video/465861992

Son restaurant lui vient de son père installé à Calais dans les années 60 et ils ont une vraie clientèle fidèle, le doc est très touchant. Surtout qu’il n’aura pas été épargné par la bêtise des locaux. Du courage, de l’humilité et de la lumière encore…
Après une escale déjeuner chez les parents de Loup, nous repartons vers le secours catholique. Cette fois Omar est avec nous. Une petite suite de jigs pour chauffer avant d’embrayer sur notre nouveau répertoire Soudanais, un franc succès!! Les visages s’ouvrent, les sourires se multiplient, merci Omar de nous avoir conseillé ces 2 morceaux unanimement appréciés. Un petit groupe s’agglomère autour de nous et cela va danser, chanter, avec des sourires plein de dents et de la lumière plein les yeux. Le temps passera très vite et nous allons quitter Calais dans cette énergie, nous aurons vécu de bien simples et essentiels moments au milieu de tous ces gens qui tôt ou tard tenteront le passage, sans relâcher, malgré les difficultés, l’adversité,… prêt à y aller jusqu’à la mort. Vers un Eldorado impitoyable, car une fois en Angleterre, l’humiliation, les tracasseries administratives, policières … continueront. Tout cela parce qu’une partie du monde décide de comment doit vivre le reste. …
Nous repartons vers Lille pour une belle soirée chez les gens d’Attacafa qui nous reçoivent ce soir.

Samedi 13 Mars
Dernière journée, nous allons ce matin avec Emliie d’Attacafa retrouver des exilés à la Cimade. L’idée est retrouver Pascale une musicienne clarinettiste qui souhaite faire des ponts entre musiciens exilés et musiciens de Lille. Nous retrouvons avec plaisir Bastien à l’accordéon, Mimi la chanteuse Congolaise rencontrée lundi et quelques autres, 2 percussionnistes, une chanteuse du Venezuela, un joueur de ney turc et Audrey que nous retrouvons avec plaisir. Il va être compliqué de communiquer, le groupe est très hétérogène, je prends l’initiative de tenter un premier jeu ensemble avec un classique Brésilien, ça marche, tout le monde s’y retrouve, Bastien enchaîne, le percussionniste Ghanéen, puis Mimi, et la chanteuse Vénezuélienne, chacun son tour propose une idée musicale et le groupe enchaîne, ça marche plus ou moins bien mais tout e monde y met du coeur et il y a une super ambiance dans la salle. A l’issue de la séance, tout le monde semble prêt à remettre cela dans une semaine ou deux… Nous terminons par un morceau avec Gab et un morceau avec Bastien, quel musicien incroyable ! ça groove tout seul! Une bien belle rencontre. Nous saluons tout le monde en espérant revenir bientôt. Un petit bout de route avec Bastien et Audrey avant de se dire au revoir et de faire ne escale déjeuner chez Emilie et François, les échanges reprennent profonds et nourris de tant d’expériences.
Nous voilà sur la route, contents de cette aventure, il nous reste beaucoup beaucoup de choses à digérer.
Comment transformer chez nous toutes les informations que nous avons reçues ici?
Comment aider tous ces gens?
Quelle est notre place dans ce moment de l’histoire?
Nous allons tenter de poser tranquillement les choses pour continuer être actif…. A suivre.

Goélan